Comme toujours, j’ai eu grand plaisir à vous lire en dépit de notre désaccord sur l’analyse à tirer de ces images illustratives. Je pense qu’en grande partie, notre différence de lecture vient du fait que nous ne nous situons pas dans le même champ : mon discours ne vise pas la scientificité et par conséquent pas l’objectivité. Il est subjectif et assumé comme tel. Il ne dit pas ce qu’il faut voir ; il dit ce qu’on peut voir (et ce qu’à l’évidence beaucoup ont vu en effet compte tenu de la diffusion de cet article).
Dans le champ (politique) depuis lequel je parle, le subjectif ne fait pas l’objet d’un rejet. Au contraire. L’objectif et le subjectif y sont considérés comme les deux faces d’une même pièce qu’est l’intelligence humaine. Le subjectif ne fait l’objet d’un rejet que lorsqu’il est masqué et non assumé, comme par exemple quand Le Monde ou Libération tiennent un discours libéral en disant qu’il s’agit de « la seule politique possible ». Dans le champ politique, le subjectif n’est un problème que lorsqu’il se cache en tant que tel et qu’il revendique un caractère « objectif » ou « neutre », « impartial », etc. C’est cela, précisément, que critique l’OPIAM (et moi avec lui) : la sympathie iconographique pour Le Pen et le traitement visuel négatif de Mélenchon lorsqu’ils se font dans un cadre présenté comme objectif. Je suis pour qu’on puisse caricaturer, moquer, railler, encenser, etc., dès lors qu’on le fait en disant d’où l’on parle ; sans quoi cela revient à faire passer pour objectif du subjectif. Dit autrement : ce que l’OPIAM et moi critiquons souvent, c’est la tromperie entretenue quand à la situation d’énonciation.
Je pense en réalité que, dans une large mesure, votre analyse et la mienne ne sont pas en opposition mais sont au contraire complémentaires. Parce qu’elles sont des lectures effectuées depuis deux champs différents et qu’elles donnent à voir, ensemble, deux aspects de la même réalité qu’est le monde social où tous les champs se rencontrent.
Allons dans le détail. Vous écrivez : « la mention de Hitler est ici explicite et pleinement justifiée par le contexte. Mélenchon lui-même réclamant l’abandon du projet de publication de Mein Kampf, il ne peut s’agir d’une allusion perfide ou d’une association subliminale ». La situation est en effet différente par rapport à l’article de 2013 où il y avait clairement de la perfidie dans le choix iconographique, qui avait l’objet d’un traitement (donc d’un travail conscient) que vous avez parfaitement démonté dans votre article « Mélenchon malpoli, Mélenchon nazi ».
Mais ici, et vous avez raison, ce n’est pas ce dont il est question. En toute honnêteté, et je crois que nous sommes d’accord sur ce point d’après ce que vous écrivez, je pense que ce choix iconographique relève surtout d’une « paresse » journalistique qui est elle-même le fruit des conditions sociales de production de l’information dans notre pays : il faut faire vite et pas forcément bien. Aussi, lorsque vous écrivez sur la séparation historique entre le noir et blanc d’une part et la couleur d’autre part, je pense que l’on peut y voir un effet de cette « paresse » journalistique, tout simplement parce qu’il est plus facile de trouver des photos d’Hitler en noir et blanc et des photos de Mélenchon en couleur que l’inverse.
Notre différence d’analyse vient, je pense, du fait que nous ne parlons pas tout à fait de la même chose : vous vous questionnez sur l’intentionnalité de l’émetteur ; je me questionne sur l’effet produit sur le récepteur. Sans doute le problème vient-il du fait que j’ai utilisé une citation où le cas étudié était, je l’ai dit, travaillé, donc intentionnel. Mais ce n’est pas mon propos ici (contrairement à l’article sur le lepénisme médiatique et la stratégie du chaos chez Libération que vous avez mis en lien). Je ne parlais que des effets induits par les choix iconographiques dans ces deux articles. Aussi ai-je pris grand soin de bien choisir mes mots.
Je parle d’« assimilation », entendu dans l’acception suivante : « Comparer et aboutir à une identification totale ou partielle, mettant l’accent sur les ressemblances sans supprimer les différences ». À mon sens (j’assume que cela soit subjectif), c’est la situation dans laquelle nous sommes pour ces deux articles : les différences ne disparaissent pas, mais l’accent est mis sur les ressemblances entre Mélenchon et Hitler (je le répète, pas volontairement, mais ce n’est pas mon sujet). Je dis aussi, pour l’article du Point, que la chose est « pernicieuse », c’est à dire qu’elle « cause de graves dommages à quelque chose », en l’occurrence ici à quelqu’un : Jean-Luc Mélenchon. Pour vous en convaincre, je ne peux ici que répéter ce que j’ai dit dans mon article : imaginez votre photo à côté d’Hitler à la place de celle de Mélenchon. Non pas à côté du livre d’Hitler mais bien à côté de lui. Pour moi, ce serait insupportable ; pour la personne qui a choisi cette photo pour illustrer l’article, je pense que cela le serait aussi, mais force est de constater qu’elle n’y a pas pensé. C’est là qu’intervient la subjectivité : c’est en tant que militant politique que je réagis et que j’affirme que mettre Mélenchon à côté d’Hitler, même sans mauvaise intention, n’est pas une chose correcte ; c’est en tant que militant politique aussi que j’affirme que l’assimilation à Hitler contenue dans la photo du Point n’est pas une chose correcte. Et d’ailleurs, vous me concédez ce droit puisque vous écrivez : « On peut certes estimer à bon droit que l’illustration choisie par Le Point est un choix caricatural qui s’inscrit dans la longue tradition de la diabolisation mélenchonienne ». Mais là où se niche, s’il doit exister, notre désaccord, c’est lorsque vous poursuivez en disant : « ni plus ni moins que n’importe quel autre usage opportuniste d’une image tribunicienne », précisément parce qu’il n’est pas question de diaboliser Mélenchon hors de tout contexte, mais bien dans un contexte où le centre du sujet est le livre d’Hitler et l’opportunité de le republier ou non.
Pour résumer, je pense que nous parlons de deux choses différentes depuis deux champs différents. Vous parlez de l’intentionnalité de l’assimilation et vous le faites depuis le champ scientifique ; je parle de l’effet produit par le (non) choix iconographique et je le fais depuis le champ politique. De votre côté, cela revient à conclure que s’il y a assimilation, on ne peut en aucun cas conclure à une intentionnalité du procédé ; du mien, cela revient à conclure que puisque j’ai été blessé par l’illustration, il fallait souligner l’assimilation pour la mettre à distance.
(Je ne viens pas en détail sur le débat « publier ou pas Mein Kampf ». Ici, il s’agit précisément d’avoir un avis subjectif qui sort du cadre de l’étude des images utilisées dans les articles relatifs au débat que pose Mélenchon. Je dirai juste que je reconnais à Mélenchon le droit de ne pas avoir envie d’être publié chez le même éditeur qu’Hitler, et à faire savoir à l’éditeur en question qu’il ne saurait être question de continuer à travailler avec lui dans le cas où il ne renoncerait pas à sa décision de republier Mein Kampf.)